Pierre Clostermann

Il y a quelques temps, France Culture rediffusait un entretien avec Pierre Clostermann, « as » de l’aviation de la seconde guerre mondiale.

J’avais lu « Le grand cirque », le livre qui l’a rendu célèbre dans mon enfance. Je n’imaginais pas le Pierre Clostermann gouailleur que j’ai entendu. Peut-être vivait-il en un temps où l’on aimait « l’esprit de débrouille ». Car il a dû toujours se débrouiller. Fils d’un diplomate, il a peu vu ses parents. Peu typiquement pour un Français, il a vécu à l’étranger, étudié aux USA et il parlait couramment le portugais. Il a très tôt rejoint la France libre, mais a aussi assez vite demandé son transfert à la RAF, dont il a été le héros. Car il n’appréciait guère la stricte hiérarchie de l’aviation française, qui ne tolérait pas que le « chef » n’ait pas le talent de son subordonné.

Tout cela dit comme une blague. Mais ce dut aussi être extraordinairement éprouvant. Seule une petite minorité des Français libres a survécu à la guerre. Et lui-même semble avoir traversé ensuite deux épisodes sévèrement dépressifs. Les batailles aériennes, d’ailleurs, n’étaient pas ce que l’on croit. C’était une confusion la plus totale. L’aviateur devait être un as de la voltige. Le danger premier était la collision. Et le pilote allemand surclassait ses adversaires.

Après guerre, il a été appelé par de Gaulle, qui en a fait un député. De Gaulle avait compris que la gloire faisait élire.

Constat de Clostermann, qui a démissionné lorsque de Gaulle est parti du pouvoir : l’étonnante baisse de qualité des députés au cours des ans.

Sorbonne nouvelle

Pourquoi ne me suis-je pas intéressé au discours de la Sorbonne de notre président ? Parce que je n’écoute pas les politiques. Ils disent toujours la même chose. Et ce qui en filtre au travers des titres de journaux est suffisant pour savoir où ils vont.

Je soupçonne que M.Macron, outre son amour des belles paroles et des discours martiaux, veut prendre le contre-pied du Front national, en se faisant le champion de l’Europe, et l’adversaire de M.Poutine. De Gaulle de l’Europe ?

J’ai toujours tort ? Il semble avoir trouvé une solution élégante au problème que je pose : notre désespéré problème national d’investissement, pour remonter notre armée, transformer notre économie… Il pense que c’est à l’Europe de s’en occuper. Habile.

Seulement, si je suis convaincu que l’UE est l’avenir de la France, je ne pense pas que ce soit comme cela qu’il faut procéder. Si la France veut avoir un minimum de crédibilité, elle doit balayer devant sa porte, et ne pas attendre le salut des autres. Du moins, c’est mon opinion.

Du biais

Un économiste disait que le succès de Keynes venait de ce qu’il avait dit aux politiques ce qu’ils avaient envie d’entendre : pour relance l’économie, il suffisait de dépenser.

On peut imaginer qu’il en a été de même du libéralisme : il enjoint le législateur de démanteler toute législation.

Et maintenant, on en est à la « valeur travail ». On pourrait penser que c’est le contre-pied des deux précédents paragraphes. Que nenni. Ce n’est qu’un slogan. Ceux qui l’agitent n’ont apparemment pas compris qu’ils devaient balayer devant leur porte.

Le phénomène semble général. Nous tendons à suivre la pente de moindre effort. Et c’est pour cela que nous sommes facilement manipulables.

Ce qui semble nous redresser est la crise. La paresse intellectuelle n’est plus permise. Peut-être aussi que de slogan en slogan, on finit par déboucher sur une idée utile, que quelqu’un est capable d’utiliser ? En tous cas, il pourrait être utile de faire des exercices de critique de sa pensée (ce que les anciens semblent avoir appelé « dialectique »). Et peut-être aussi ferait-on bien de se demander si la paresse intellectuelle est innée ou acquise…

(Et si la « société », pour nous gouverner aisément, donc ne pas avoir à gérer notre « complexité », avait intérêt à nous rendre manipulables ?)

Maudite poésie

France culture consacrait une nuit à Verlaine. Ne sachant pas lire la poésie, je préfère l’écouter. Ainsi, j’apprends qu’elle ne se dit pas comme on le penserait. La régularité de ses nombres de pieds, par exemple, peut cacher des irrégularités fondamentales, des vers « réels » qui sont constitués d’un ou de quelques mots, par exemple à nouveau.

Voilà qui pose la question de l’enseignement. Ce qui faisait le charme de la poésie, c’est qu’elle était maudite. Depuis qu’elle est devenue sujet de récitation et de cours, elle ennuie l’élève et elle a sombré dans l’oubli.

(Quant à Verlaine, il semblait en proie à l’angoisse existentielle : après chaque écart, il cherchait fiévreusement la respectabilité, du mariage, de la religion, de la bonne société…)

L’avenir de Tesla

Tesla steers back towards cheaper cars
Elon Musk seeks to appease the market after 40% stock slide

Financial Times, 25 avril

Biais de confirmation ? Une de mes théories est que Tesla n’a pas d’avenir. Tesla a été un phénomène spéculatif. Il y eut un temps où l’on a cru dur comme fer que l’avenir était à l’économie de marché, au démiurge créateur de richesses. Tous ceux qui ont été les champions de cette nouvelle ère, post mur de Berlin, ont été portés par les investisseurs, qui s’imaginaient « agents du changement ».

Seulement, Tesla n’a aucun avantage concurrentiel. Il va être obligé de se mesurer, tôt ou tard, aux autres constructeurs automobiles. Et leur métier, c’est de réduire sans cesse leurs coûts. Le monde de l’automobile est un coupe-gorge. Ce n’est pas par hasard que l’on y trouve les meilleurs contrôleurs de gestion. Et, à ce jeu, les Américains ne sont pas les meilleurs : cela fait longtemps que leurs voitures ne s’exportent plus.

Le chant du boson

Qui était le professeur Higgs, l’inventeur du boson qui porte son nom ? Une émission de France culture (La science, CQFD).

Un homme discret, qui n’a quasiment publié que l’article qui a fait sa gloire, il y a 60 ans, et qui a été sur le point de se faire éjecter de son université, pour cette raison. (Nous vivons à l’époque du « publish or perish » : une transposition de la logique du marché au monde des sciences.) Heureusement pour lui, il était en odeur de prix Nobel. Et il a eu la chance de vivre assez vieux pour l’obtenir.

Avec lui, on découvre que la physique a changé. Il n’y est plus question que de champs et de particules associées. Le sien donne leur masse aux autres. On apprend aussi que le vide ne l’est pas…

La physique y a gagné en humanité. Dans ma jeunesse elle était dominée par des génies, dont on ne parlait qu’avec stupeur et tremblements, et elle nous promettait de trouver l’équation fondamentale. Désormais, elle s’enfonce dans la complexité, et c’est un travail d’humbles artisans. Et surtout, il est fini le temps où l’on connaissait la nature du monde. Aujourd’hui, on n’a plus que des représentations et elles sont appelées à se transformer radicalement, de temps à autres.

L’étranger

Malcolm Gladwell parle de notre interprétation de « l’étranger ». (Une émission de la BBC.)

Eh bien, qui que nous soyons, nous tendons à nous tromper sur son compte. En gros nous sommes faits pour vivre avec des gens normaux faisant des choses normales. Si un innocent se comporte d’une manière inhabituelle, nous le croyons coupable. Et inversement. Et la justice est au moins autant susceptible à ce biais que l’homme ordinaire. Fort inquiétant.

De même, nous sommes tout à fait incapables de comprendre l’importance que notre environnement immédiat a sur l’individu. Ainsi, en augmentant le nombre de policiers dans un quartier, on y a réduit radicalement la prostitution, simplement parce que les prostituées préféraient changer de métier que de quartier, et ce parce qu’elles en connaissaient les règles.

Le plus surprenant, peut-être, est à quel point nous pouvons être sûrs de notre jugement…

Marge et changement

Ce qui me frappe dans la pensée scientifique, c’est son déterminisme.

Elle explique l’avenir en disant qu’il découle de phénomènes qu’elle étudie.

Mais ces phénomènes correspondent à des moyennes. Or, ce sont des marges que viennent les changements.

C’est ce que je retiens de mes années d’études de marché. Et même ces marges ne sont pas suffisantes. Elles ne sont que la seconde étape du changement, le moment où il commence à être visible. A son origine est un individu isolé, et des circonstances fortuites.

Je lis actuellement les mémoires du général de Gaulle. Elles illustrent cette idée. De Gaulle n’était rien. Mais il s’agite, il se fait connaître. Il rencontre des hommes politiques. (Il semble particulièrement apprécier les socialistes, en particulier Blum et Mandel.) On lui confie une division blindée, alors qu’il n’est que colonel. Puis il est sous-secrétaire d’Etat. Puis il se retrouve en Angleterre, tout seul. Mais, petit à petit, tout un groupe se constitue autour de lui, jusqu’à des généraux d’armée qui lui font allégeance. Et Churchill décide de le soutenir.

En fait, le changement n’est compréhensible qu’a posteriori ?

Colle

Des bénéfices de la colle. Une émission de la BBC. (Glued up : the sticky story of humanity.)

Effectivement, on ne se rend pas compte du rôle de la colle. Et de son ancienneté : les hommes préhistoriques collaient. Et parce qu’ils mâchaient la colle, il s’y est piégé leur ADN, et même celui de leur diète alimentaire. (Apparemment, les mâcheurs d’Europe étaient noirs aux yeux bleus et ils mangeaient des canards et des noisettes.) Aujourd’hui la colle permet de faire des composites, auparavant du contre-plaqué, le tout essentiel pour l’aviation, entre-autres.

Pour une raison qui m’a échappé, le caoutchouc était aussi de la partie. C’est à Goodyear que l’on doit son usage généralisé. C’est un hasard qui lui a fait découvrir la vulcanisation, qui a permis cet usage. Grande leçon d’innovation : Goodyear a procédé sans aucune méthode, tentant toutes les idées possibles. Et il a fini ruiné. Curieusement : des civilisations sud américaines avaient découvert ce procédé des millénaires plus tôt.

Théâtre de boulevard

Pièce de théâtre de boulevard par des amis amateurs. Plongée dans mon enfance.

C’est étonnant à quel point un spectacle peut être codifié. Le ressort du théâtre de boulevard est l’infidélité. Infidélité généralement provisoire. (L’ordre finit toujours par gagner, comme dans les films de gangsters.) Mais on y est obsédé par le sexe. Mais aussi par le succès matériel. Il faut des bons mots, pas trop difficiles à comprendre, et l’on doit s’agiter, il faut de l’inattendu, « du spectacle ». Epater le bourgeois.

Notre morale moderne devrait juger que tout cela est horriblement mal pensant. Surtout, cela ne devrait plus fonctionner : le couple moderne n’a plus rien à voir avec l’étouffant mariage d’après guerre. Mais ça marche. Le spectateur était heureux. Il ne fait pas d’analyse de texte.

Dans un bon spectacle, il faut qu’il y en ait pour tous les publics ?