La fabrique de l’élite mondiale

Nous avons subi un changement sans précédent. En quelques décennies le pouvoir est passé de l’expérience à l’éducation. Ce qui a des effets radicaux et paradoxaux sur le monde.

En 2000, Bobos in paradise décrit l’émergence du phénomène aux USA.

Le pouvoir au diplôme

Le Bobo n’est pas un être excentrique, c’est un phénomène de société. Voilà comment il en est arrivé à gouverner la planète…

Aux USA, la classe dirigeante était celle des familles fortunées protestantes. Elles se transmettaient le pouvoir de père en fils. Elles avaient, aussi, un rôle social qu’elles assumaient avec soin. Mais, un consensus s’est fait selon lequel c’était à l’éducation que devait revenir le pouvoir. Les universités américaines emploient maintenant des tests d’intelligence pour sélectionner leurs élèves. Et ce sont les meilleurs élèves des meilleures universités qui occupent les fauteuils de direction. Les bêtes à concours nous dominent. A cela s’est combiné « l’âge de l’information », favorable aux formations abstraites. Il en a résulté des conséquences inattendues. 

La conciliation des opposés

Car, qui disait éducation supérieure disait « contre culture » : les diplômés d’hier étaient hippies. Leur modèle c’était la Bohème française : Flaubert et ses amis. Comme eux, ils rejetaient matérialisme et contrainte. Leur ennemi était la classe moyenne, et ses valeurs. Ils s’identifiaient aux marginaux, « les pauvres, les criminels, les exclus ethniques et raciaux ». Leur mot d’ordre « épater le bourgeois » (en français dans le texte). Qu’allait-il survenir ? 

Un phénomène inattendu : la réconciliation des ennemis mortels, du bourgeois et du bohème. Le militant anti système n’a renoncé ni à ses idées anti-système, ni à l’argent du système. Et on s’en aperçoit tous les jours !

La mode du 4×4, pour commencer. Un 4×4 (ou plutôt SUV : Sport Utility Vehicle) vaut aussi cher qu’une Porsche. Mais un 4×4 est utilitaire, populaire, nature. La Porsche, c’est le capitalisme. Les Bobos achètent du simple, du rustique, mais à cent fois le prix de l’article ordinaire. Cette « élite intellectuelle » a transformé « le profane en sacré ».

A l’envers, le Bobo a rendu bourgeoise la transgression. Par exemple, les pratiques sexuelles déviantes d’hier ressortissent maintenant au développement personnel, avec tout ce que cela implique de puritanisme suffocant. Idem pour le travail. Jadis honni, il est devenu continuation éternelle d’études où le Bobo a excellé. 

Mais attention. Cette culture, schizophrénique, est une arme. Celui qui n’emploie pas ses codes ne peut prétendre à avoir une place en société.

L’intellectuel comme célébrité 

Un chapitre très long est consacré à la transformation de l’intellectuel, au sens « Sartre » du terme. Jadis, il n’y avait qu’une poignée d’intellectuels. Aujourd’hui, les intellectuels sont fabriqués à la chaîne. Comment se distinguer ? Leur obsession est la célébrité, et le show business. Les puissants de ce monde se retrouvent dans de grand’ messes, les intellectuels en sont les officiants. La recette de la célébrité, c’est science sans conscience : la meilleure façon de se faire remarquer, c’est de produire des allégations fausses. Mais l’intellectuel n’est pas parfaitement heureux. Il gagne beaucoup moins que les grands patrons qu’il fréquente, et qui viennent des mêmes universités que lui. 

Clinton contre Trump

Déjà les Clinton s’opposent à Trump. Les Clinton, manifestants pacifistes des années 60 devenus spéculateurs boursiers (en 2000, ils n’avaient pas encore fait fortune) sont l’archétype du Bobo. Donald Trump est leur contraire. 

L’auteur pense beaucoup de bien du Bobo. (Il en est un.) Le Bobo a ses ridicules, mais il est plus sage que les élites précédentes. Ce qu’il lui reproche, c’est sa superficialité et son manque d’aspirations altruistes. Et s’il consacrait ses capacités intellectuelles exceptionnelles « aux réformes du pays et à l’activisme international » ? David Brooks entrevoit un « nouvel âge d’or ».

Les possédés ?

Prescient ? Les universitaires célèbres se plaignaient de mal gagner leur vie : il est apparu des « circuits de conférences » qui rapportent des dizaines de millions à certains, chaque année. C’est ainsi que les Obama et les Clinton ont fait fortune. De même, le Bobo est devenu militant. Il veut imposer au monde ses valeurs « socialement avancées ». Car les USA ont été un précurseur. Ce qui se dit ici est vrai pour d’autres nations. Mais ce livre va beaucoup plus loin. Ce qu’il annonce, c’est une société qui vit hors des réalités.

Nous avons remplacé l’expérience par l’examen scolaire. Les scientifiques eux-mêmes ne cherchent plus la vérité mais la célébrité. Le monde est confié à des apprentis sorciers. La masse de la population, celle qui est en contact avec la réalité, les « non intellectuels », n’a plus de place dans cette société du meilleur diplôme. Et la « contre culture » des dirigeants leur rend haïssables ceux qu’ils dirigent ! Brexit, Trump et Gilets jaunes expliqués ? Et si « l’âge de l’information » et la multitude de bulles spéculatives, financières ou informatiques, étaient produits par une élite d’évaporés ? Asile de fous ?

Mais simple conséquence de l’amour aveugle qu’a eu la société pour l’éducation, après guerre. Il s’agit maintenant de remettre les choses à leur place. En particulier les intellectuels. Ce qui compte, aujourd’hui, est de trouver comment les remplacer ou les faire évoluer, sans provoquer le pire ? L’erreur est humaine…

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